
En 2021, la Bourse régionale des valeurs mobilières a retrouvé une dynamique positive après quatre exercices moroses. S’il se félicite de cette conjoncture favorable, le Togolais à la tête de l’institution depuis dix ans reste vigilant, conscient des nombreux points sur lesquels il faut agir pour stimuler le marché.
Après plus de quatre années de cycle baissier, la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) a repris des couleurs en 2021. Clôturant l’année largement dans le vert, avec un indice BRVM 10 en hausse de 17,29 % et le BRVM Composite de +39,15 % par rapport à 2020. La valeur des transactions a été multipliée par trois sur un an (+293 %, à 722 milliards F CFA – 1,1 milliard d’euros). Tous les secteurs, ou presque, ont bénéficié de ce dynamisme. Ainsi en est-il de la banque panafricaine Ecobank, groupe ayant échangé le plus d’actions l’an dernier, ou encore de l’opérateur télécoms Sonatel, le plus performant, en valeur, en 2021.
Mais c’est l’activité du Trésor public de Côte d’Ivoire (TPCI) – dont le volume des transactions sur plusieurs de ses lignes obligataires – qui est la plus notable. Ce comportement illustre le dynamisme qu’a connu le marché obligataire l’an dernier, « particulièrement sur les titres souverains émis par les pays de l’Uemoa en 2021 », précise le directeur général de la BRVM. Une année exceptionnelle, donc, pour l’activité du marché régional. Mais avant d’en conclure que la bourse commune aux huit pays de l’UEMOA entre dans un nouveau cycle, positif celui-là, le Togolais Félix Edoh Kossi AMENOUNVE préfère attendre que la tendance se confirme « sur une ou deux années ». D’autant que, si l’institution basée à Abidjan s’est si bien comportée, cela s’inscrit dans un contexte où les plus grands indices dans le monde, portés notamment par les aides à l’économie mise en place dans plusieurs pays, ont clôturé l’année 2021 dans le vert.
La persistance de la pandémie, des crises socio-politiques et des tensions terroristes dans l’Union, entre autres, laissent planer le doute sur les performances du marché en 2022, affirme AMENOUNVE. À la veille de la présentation du bilan des activités 2021 de la BRVM et du Dépositaire Central/Banque de Règlement (DC/BR), il a répondu aux questions de Jeune Afrique.
Jeune Afrique : Au-delà de la résilience des économies de l’UEMOA, qu’est-ce qui explique les bonnes performances de la BRVM en 2021 ?
Félix Edoh Kossi AMENOUNVE : Les investisseurs mesurent désormais mieux les risques politiques et économiques dans la région et s’inscrivent davantage dans une approche de long terme. Les très bons résultats financiers des entreprises cotées malgré le contexte difficile lié au Covid-19, ont également renforcé leur confiance. Ils sont, particulièrement les Africains installés hors de la zone UEMOA, de plus en plus attirés par le marché de la dette souveraine qui offre de bons rendements dans notre union et une protection sur le risque de change grâce à la parité fixe qui y prévaut. Enfin, on peut aussi dire que les réformes que nous avons menées ces dernières années, telles que les fractionnements d’actions et l’exigence d’un minimum de capital flottant représentant 20 % du capital des sociétés cotées ont permis au marché d’être plus liquide, ce qui a suscité de l’engouement.
La BRVM a célébré ses 25 ans le 18 décembre à Cotonou. Peut-on dire que cette bourse a atteint son objectif en tant qu’outil d’intégration régionale et de financement du développement économique de ses Etats membres ?
Le marché financier régional de l’UEMOA a été mis en place pour répondre à un besoin de financement à long terme de nos économies, dans un contexte particulier où les États ne pouvaient plus accéder aux avances statutaires auprès de la Banque centrale (BCEAO). L’innovation consistait alors à créer un marché financier unique pour plusieurs pays et accessible à tous les investisseurs, y compris internationaux.
Dans son fonctionnement actuel, la BRVM répond à cette ambition. Elle a permis de lever au cours des vingt-cinq dernières années plus de 14 000 milliards de F CFA (plus de 21 milliards d’euros) de ressources, à travers les emprunts obligataires et les offres publiques de vente d’actions pour financer de nombreuses infrastructures et plusieurs secteurs d’activité telles que les télécommunications, l’énergie, les finances, l’agriculture ou encore le BTP. Le marché obligataire est très dominant et a surtout servi à financer les États. Globalement, on peut dire que les objectifs de financement des économies sont aussi plus ou moins atteints.
En revanche, une vingtaine d’introductions en bourse (IPO) en un quart de siècle, c’est peu, non ?
Nous aurions aimé faire trois fois voire quatre fois plus au regard du potentiel de notre marché [46 sociétés sont cotées à la BRVM]. Vingt IPO, c’est peu mais cela montre que le marché est une réalité, que les entreprises peuvent venir y ouvrir leur capital et lever des ressources pour financer leur croissance. Par ailleurs, il ne faut pas oublier la notoriété acquise par la BRVM au cours de ces vingt-cinq années. La BRVM a intégré des indices internationaux comme le MSI, certaines de nos valeurs figurent dans des indices africains, nous sommes membres de l’association des bourses africaines que je préside depuis 2020, nous sommes devenus en 2021 membres à part entière de la fédération mondiales des bourses. C’est autant d’indicateurs de conformité aux standards internationaux qui rassurent les investisseurs.
Que faut-il faire pour attirer davantage le secteur privé à la BRVM ?
Nous avons fait un travail de fond pour préparer une trentaine de PME à fort potentiel de croissance de l’UEMOA à accéder au marché, dans le cadre de notre programme Elite. Ces PME vont être certifiées au cours de cette année 2022 et seront prêtes. Nous savons d’ores et déjà que quelques-unes d’entre elles ont pris attache avec le régulateur pour connaître les modalités d’obtention d’un agrément d’émission sur le marché. Mais il nous faut beaucoup plus d’entreprises et de PME à la BRVM. Pour cela, nous devons travaillons sur d’autres axes.
Lesquels ?
Les privatisations et les sorties des fonds de private equity, par exemple. Le potentiel en matière de privatisation reste encore extrêmement important. Une récente étude, réalisée conjointement par nos soins et IFC, a démontré que quelque 2 000 entreprises sont privatisables en Afrique. Comment les préparer et les encourager à venir sur les places financières ? C’est un enjeu majeur pour nous au cours des prochaines années. Par ailleurs, nous avons aussi constaté que les fonds de private equity préféraient revendre leurs participations à d’autres fonds. Nous devons trouver les bons mécanismes pour les inciter à passer par des introductions en bourse.
Faut-il obliger les filiales des grands groupes actives dans la zone UEMOA à se coter à la BRVM ?
Sans que cela soit une obligation réglementaire, la nécessité de s’adresser au marché des capitaux de la région où sont implantées leurs filiales devrait être une évidence pour ces groupes. Pour deux raisons : d’abord, parce que l’ancrage local de l’actionnariat est une façon pour une entreprise d’afficher son appartenance à l’environnement dans lequel elle opère, et même de se protéger contre des situations comme celles qui ont pu conduire, dans certains pays, à des nationalisations dans les années 1960 et 1970. Ensuite, la nécessité d’un meilleur partage des richesses créées en Afrique doit amener les entreprises étrangères qui travaillent dans nos pays à ouvrir une partie de leur capital au public pour permettre à celui-ci d’avoir droit à une partie des bénéfices réalisés. Cela est également valable pour nos Etats à travers la privatisation des grandes entreprises publiques. C’est aussi une question de volonté politique de nos États qui doivent faire en sorte que les entreprises qui travaillent en Afrique travaillent pour les Africains et partagent leurs richesses avec les Africains.
La Zone de libre-échange continentale africaine est entrée en vigueur en 2021. Que représente une telle initiative pour la BRVM et les bourses africaines ?
La Zlecaf doit être accompagnée d’une union bancaire continentale et, ensuite, de l’intégration des marchés des capitaux en Afrique. Autrement, on n’aura pas fait grand-chose. C’est une condition indispensable pour accélérer la croissance et le développement de notre continent. C’est pour cela que le lancement récent du système de paiement et de règlement panafricain, à Accra, est quelque chose d’extrêmement important à saluer.
C’est ce que nous faisons, au niveau de l’association des bourses africaines, en mettant en place un projet d’intégration des marchés pour que les capitaux à long terme circulent librement de manière à ce que les entreprises qui ont la possibilité de commercer avec l’ensemble des pays signataires de la Zlecaf puissent lever suffisamment de capitaux à l’échelle continentale pour financer leur développement.
Source : Jeune Afrique